Il était une fois une jeune ballerine du Bolchoï aussi belle que talentueuse. Le monde la connaitrait un jour sous le nom d'Irina Belova mais, à 20 ans, elle n'était encore que quadrille dans le corps de ballet. La danse était tout ce qu'elle avait dans la vie, car son propre père, gratte-papier au Service Fédéral d'Etat des Statistiques aspirant naïvement à une carrière de renom, l'avait reniée pour être devenue une artiste de scène. Malheureusement, le talent ne faisait pas tout, et bon nombre de solistes n'obtenaient les rôles tant convoitées que par un patronage dont elle ne bénéficiait pas. Elle faisait peut-être le tour du monde avec ses camarades, mais était condamnée à danser au fond, loin des projecteurs. Son rêve stagnait comme l'eau croupissant dans un marécage.
Le
tour 1999 du Bolchoï s'arrêta finalement à Londres, où Irina découvrit une opportunité qu'elle ne pouvait pas refuser. Un journal, abandonné sur l'une des tables de la salle de petit-déjeuner de l'hôtel où séjournait les danseurs, affirmait que le
Royal Ballet donnait des auditions le jour-même. Le destin lui tendait la main, et elle allait la saisir. Alors, elle roula le journal en boule, le jeta discrètement à la poubelle avant que les chorégraphes n'aient eu une chance de le lire. Puis elle manqua une répétition, faisant mine d'être malade, et s'esquiva hors de l'autel pour se rendre à cette audition.
Un choix judicieux, puisqu'Irina obtint une offre de recrutement au statut de sujet - tout en haut du corps de ballet, là où l'on avait une chance d'obtenir ses premiers rôles de solistes, la voie royale vers la position de première danseuse. Et plus que ça, elle reçut l'opportunité d'être la doublue de l'étoile jouant le rôle principal.
L'étoile était une diva, renommée tant pour son talent que pour ses caprices. Après une dispute explosive avec le maître de ballet, celle-ci prit ses cliques et ses claques, offrant à Irina l'opportunité inespérée d'incarner elle-même Cendrillon, l'héroïne du ballet de Prokofiev, lors de la première représentation de la saison.
Dans Cendrillon, un prince voit cette mystérieuse inconnue faire son entrée dans sa belle robe de bal et tombe aussitôt sous son charme... Et bien, c'est à peu près ce qu'il se passa. Car dans l'une des loges se tenait le fils cadet du Duc de Devonshire, Atticus Cavendish. Atticus était amateur d'art et de belles choses, et malgré son jeune âge, il était l'un des principaux mécènes du
Royal Ballet. La vision de la jeune danseuse lui coupa le souffle, et il décida qu'il devait absolument la revoir.
Il n'avait pas de chausson à faire essayer à toutes les danseuses de la troupe... Mais bien sûr, il n'en avait pas besoin. Il n'eut qu'à organiser un gala caritatif au nom du
Royal Ballet, en y conviant les danseuses, pour retrouver la jolie ballerine qui avait suscité son intérêt. Irina fut bien présente et, contrairement à son personnage, elle ne prit pas la fuite à minuit.
Une nuit magique, un jeune noble fou amoureux... Au petit matin, il était prêt à dire "Epouse-moi" quand celle-ci le quitta sur un "Bonne continuation", le laissant trop coi pour réagir. Une poursuite s'engagea néanmoins : à chaque représentation, Atticus était présent, et un bouquet, un poème, un bijou, quelque chose attendait Irina dans sa loge. Et à chaque fois, elle l'ignorait, jetant les fleurs, froissant les missives et renvoyant les bijoux... Car sa carrière passait avant tout.
Et soudain, environ un mois et demi après cette soirée passionnelle, Atticus envoya à Irina un portrait d'elle qu'il avait fait réaliser, et à l'entracte, on l'informa qu'elle souhaitait le voir à la fin de la représentation. Bien sûr, l'amoureux transi ne se fit pas prier.
Elle avait essayé, dit-elle, essayé de lutter contre ses sentiments pour le bien de sa carrière, mais elle n'en était pas capable. Elle voulait accepter l'invitation à dîner de la semaine précédente, si celle-ci tenait toujours.
Malgré les protestations de son père le duc, Atticus épousa Irina au début du mois de juillet. En août, son ventre commençait déjà à s'arrondir. Irina aimait Atticus, mais elle aimait sa carrière plus encore. Ce n'était pas par sentimentalisme que, finalement incapable de résister à ses charmes, elle avait cédé à ses avances... Mais bien en désespoir de cause, en se découvrant enceinte.
Néanmoins, les premiers mois suivant leur mariage, ils vécurent leur idylle comme deux amoureux en lune de miel. Atticus n'était pas dupe quant aux raisons qui avaient fait céder sa belle... Mais il pensait que cet enfant était un don des Muses pour consacrer leur amour. Et comme pour lui donner raison, elle naquit avec le soleil levant, le 14 février 2000.
Zoya avait les yeux bleu-gris perçant et le teint clair de sa mère, la chevelure brune et le front haut de son père. Un père dont la famille Cavendish ne l'autorisa à porter le nom qu'après un test de paternité positif, auquel Atticus ne se soumit qu'en grommelant.
Et alors, comme dans le conte de fées qui les avaient réunis, ils vécurent heureux jusqu'à la fin des temps ?
Vous êtes bien optimistes, vous. Vous les avez regardés, mes parents ?
J'étais à peine née que ma mère reprenait déjà l'entrainement, pour retrouver sa forme de danseuse. J'ai été allaitée par une nourrice, changée par des domestiques et bercée par mon père. A nouveau, il n'y avait que la danse qui comptait dans la vie de ma mère. Quand j'avais trois ans, mon père a fini par lui poser un terrible ultimatum : en tant que mécène du
Royal Ballet, il les a menacés de retirer tous ses fonds s'ils continuaient à l'employer.
Alors, ma mère est partie danser au Ballet de l'Opéra national de Paris, du jour au lendemain, sans un regard en arrière pour moi. Mon père a été anéanti, et il a demandé le divorce. La froideur de ma mère l'a désabusé vis-à-vis des choses de l'amour, et j'ai grandi avec onze belle-mères successives. Grand-Père Cavendish était loin d'être ravi, mais comme il avait un héritier remplissant ses devoirs à la perfection et que mon père n'était que son cadet, il se contentait de regards courroucés et de remarques acerbes.
Moi, en revanche, j'étais dénuée de toute faute aux yeux de mon grand-père. S'il avait refusé de me rencontrer durant les cinq premières années de ma vie, il est tombé sous mon charme dès qu'il m'a vue pour la première fois, et il n'a jamais rien pu me refuser. S'il était déçu par son fils, il était heureux comme un coq en pâte de parler de sa petite-fille, lui qui n'avait à part moi que trois petits-fils.
J'ai donc grandi avec une mère absente, un grand-père noble qui m'avait à la bonne, un père souvent pris par ses affaires et souvent maladroit sur le plan affectif, et une floppée de belle-mères. Certaines m'appréciaient véritablement, et c'était réciproque. Les autres ont appris très vite à ne pas me faire de misères, car elles étaient remplaçables, et je ne l'étais pas.
Dès mon plus jeune âge, j'avais une passion pour les vêtements. D'abord, toute petite déjà, je dessinais les robes que je voulais pour moi, pour mes poupées - parfois, pour une belle-mère que j'aimais bien - et elles étaient commandées sur le champ. On complimentait mon goût exquis.
Pour mes sept ans, j'ai demandé à installer un coin couture dans ma salle de jeux, et comme on ne me refusait rien, on a vidé deux chambres d'invités voisines de la mienne et fait tomber des cloisons pour m'offrir un atelier digne de ce nom, avec tout le matériel que je pouvais désirer. Et j'ai commencé à fabriquer mes propres vêtements. C'était ma passion, et j'y passais tout le temps où je ne suivais pas mes cours avec mes professeurs particuliers. Cette année-là, et les suivantes, mon grand-père mettait son jet à disposition pour que je puisse aller voir les
Fashion Weeks, à Paris, à New York, à Londres et à Milan. J'étais plus heureuse encore que dans un parc d'attraction.
Ma septième belle-mère, qui n'avait même pas le double de mon âge, était désespérément jalouse de moi. Le jour de mon treizième anniversaire, elle s'est présentée dans une copie exacte de la robe que je m'étais confectionnée spécialement pour l'occasion - profitant sans doute du temps que je passais désormais dans mon collège privé pour s'introduire dans mon atelier. Elle m'a adressé un sourire victorieux, et j'ai senti la rage bouillonner en moi, car je n'avais jamais autant travaillé sur un projet... Je voulais qu'elle se change, elle a refusé. Et soudain, les coutures de la robe ont craqué toutes en même temps, et elle s'est retrouvée en sous-vêtements - avant de s'enfuir en courant. Les gens ont plaisanté sur le fait qu'elle était trop grosse pour porter une robe visiblement taillée pour une adolescente, mais moi, j'étais certaine que c'était moi qui avais fait cela.
Alors, j'ai commencé à expérimenter, seule avec mes textiles dans la tranquilité de mon atelier. J'ai fini par découvrir que c'était vrai, et que je pouvais faire bien plus que cela : réparer les tissus et les fils, les déplacer, les contrôler... Mes créations sont devenues plus audacieuses, plus uniques, mais je me suis appliquée à garder le secret sur mes pouvoirs.
Et pour cela, j'ai décidé que le mieux serait encore de partir. L'année suivante, je me suis donc faite admettre au
High School of Art and Design de New York City, en cursus de mode, avec un an d'avance. Là-bas, j'ai eu l'occasion de m'entrainer en secret, libérée de ma supervision familiale et domestique.
Et puis j'ai décidé d'utiliser mes pouvoirs pour le bien. Au début, il ne s'agissait que de petites choses : rajuster la jupe d'une pauvre fille qui était sortie des toilettes en la laissant coincer dans son collant, desserrer l'air de rien la cravate d'un garçon en pleine crise de panique au cours d'un examen.
Mais j'ai fini par réaliser que je pouvais faire plus, beaucoup plus que cela. Et après le bac j'ai candidaté pour faire une année de césure auprès de mon idole, Edna Mode, designeuse des super-héros. Au début, mes lettres, mes appels, sont restés sans réponses... Alors, j'ai skypé mon grand-père, et il m'a envoyé son jet pour me rendre chez cette femme que je rêvais de rencontré. Une fois le pilote reparti, j'ai marché droit vers la porte et j'ai sonné. Elle ne m'a pas répondu, mais j'étais certaine qu'elle pouvait me voir et m'entendre à travers l'interphone. Je lui ai même dit que moi aussi, j'avais des pouvoirs - aucune réponse.
Alors, j'ai décidé de lui faire une démonstration. J'ai levé les mains devant la caméra, et j'y ai fait apparaitre une paire de longs gants en dentelle noire, au motif délicat laissant apparaitre ma peau pâle.
- Je peux même les rendre ignifuges ! ai-je précisé.
Et enfin, la porte s'est ouverte, et j'ai rencontré Edna. Elle était fascinée par mon pouvoir, et au cours d'une année de collaboration fructueuse, j'ai notamment appris auprès d'elle - et notamment une règle qui est restée gravée dans ma mémoire :
No capes.A mon retour à New York, j'ai intégré un
Bachelor of Arts en
Fashion Design à l'université de Columbia, lieu où j'ai rencontré mes meilleurs amis, parmi lesquels
@Alicia Masters, elle aussi étudiante en cursus artistique.
Et à côté de ça, j'ai commencé, non seulement à habiller les mutants et super-héros de la ville, mais aussi à m'aventurer à mon tour dans les rues pour tenter de protéger les innocents. Si Zoya Cavendish est très officiellement couturière pour super-héros,
Weaver, elle, protège les innocents en toute discrétion.
Je suis désormais en double cursus : BFA de Fashion Design et Master de Management.
Tout va pour le mieux dans ma vie, à un tragique détail près.
L'été dernier, j'ai perdu mon grand-père. Il me manque beaucoup.
Et mon oncle, le nouveau duc de Cavendish, ne m'a pour sa part jamais beaucoup aimée. Il pense qu'en tant que seule fille de son frère, je dois faire ma part pour le duché de Devonshire.
A l'enterrement, il m'a posé un ultimatum : arrêter mes "conneries d'artiste" et me concentrer exclusivement sur mon cursus management pour être utile aux affaires familiales, ou rentrer choisir un époux parmi quelques candidats soigneusement sélectionnés, et lui permettre une alliance avantageuse.
Je l'ai envoyé chier.
Mais le 1er janvier 2023, j'ai appris dans le journal que j'étais fiancée.
C'est malin.
D'autant plus que ma photo était là, en grand, à côté de celle de cet imbécile qui a l'air de savoir à quel point il est séduisant.
Et pour couronner le tout, je n'avais pas
exactement dit à mes amis que j'étais la petite fille d'un duc.
Juste que mon père était un magnat de l'art plein aux as.
Pas tout à fait pareil, n'est-ce pas ?
Pouvoir : - Nemakinesis : Contrôle de fils, tissus, cordes et vêtements : déplacement similaire à la télékinésie, modification de souplesse, résistance et autre propriétés (rendre ignifuge, etc.) ; déchirure ou réparation ; manipulation d'objets en forme de fil (fil de fer, cheveux)
- Nemagenesis : Génération de fils, tissus, cordes, vêtements, etc. (Utilisé notamment pour des rubans de combat)
- Guérison par le tissu et la couture (tissu aux propriétés de cataplasme, recoudre un plaie permet de la sceller et d'interrompre l'hémorragie, etc.)